17.4.06

Autrefois, le monde tenait sur le dos d'une tortue. Ou d'un éléphant; de quelque chose de solide et d'ancien, en tout cas. Et d'un horizon à l'autre, une déesse se penchait pour protéger les vivants; son corps devenait la nuit et les étoiles étaient ses bijoux, ou alors l'éclaboussure d'un peu de lait fécondateur échappé de son sein. Le monde a toujours été mystérieux, mais autrefois il était plus simple. Comme j'aimerais, moi aussi fouler la carapace de la mère des tortues, et que mon chemin soit fait des nervures entre les plaques de son dos. Je me sentirais en sûreté.

Évidemment, c'est tout à fait ainsi que je me sens en parcourant la couenne de le terre. Mais ce n'est pas pareil: sous elle, bien loin, il y a le vide. Qu'y avait-il donc en-dessous de la grande tortue? Et derrière le corps de la déesse? Se posait-on la question, autrefois? À présent, les horizons se sont élargis comme des tapis qu'on déroule, mais ce seraient des tapis tridimentionnels... Et le rouleau est sans fin.

Ces jours-ci, j'ai fait l'expérience d'une sensation étrange: à quelques reprises, j'avais l'impression que mon corps était «dans mes jambes», je m'y sentais un peu coincé, et mal à l'aise. C'est peut-être dû à divers maux qui me hantent, ou plus simplement à quelque chose d'anodin et de mal commode, comme quand on a trop chaud la nuit et qu'on ne sait plus quoi faire pour se sortir de cette sensation dérangeante. Mais c'était là. Alors je me suis demandé si je n'étais pas en train de changer d'âge, comme nous sommes tous passés de l'âge de la tortue à celui des horizons déroulants.

La venue d'un monde sans carapaces...