23.4.06

Il faudrait être prêt à partir sans avertissement. Comme sur un coup de tête. Laisser tomber le chandail qu'on est en train de plier et sortir en laissant la porte ouverte. Ne pas se retourner.

Car c'est peut-être ainsi qu'elle nous demandera de la suivre. Pas le temps d'un adieu, et le crayon pour griffoner une note est tombé. Peut-être.

J'ai appris aujourd'hui qu'une femme que je connais a le cancer. Elle s'en sortira peut-être, remarque. Beaucoup s'en sortent. Mais ça fait réfléchir. On s'imagine que ça nous arrive. On se demande ce qu'on ferait. On voudrait repousser l'échéance... mais ne le voudrait-on pas toujours? Non, un jour il faut pouvoir dire oui. Il faut pouvoir dire c'est d'accord et accepter s'il le faut de quitter en laissant la porte ouverte. C'est le vent frais qui pénètre dans la maison qui à un moment avertira les autres.

Je pensais à tout cela en décrochant le linge de la corde. Des odeurs de viande que faisaient cuire des voisins parvenaient jusqu'à moi. J'avais froid: en arrière, c'est toujours frais parce qu'on se trouve à l'ombre et qu'il y a plus de vent. Les vêtements sentaient bon l'air du printemps, et je trouvais que c'était là une chose qu'il pourrait être difficile de laisser tomber derrière soi. Odeurs simples de la vie, bien-être ordinaire mais bien-être bord à bord qui nous possède quand tout est facile, franc, agréable, même si ça n'est que pour quelques secondes...

Nous ne savons rien, c'est bien ce qui rend les choses difficiles. Et pourtant nous nous rattachons à ce rien. C'est pourquoi nous pensons, ainsi que la petite chèvre, «Pourvu que je tienne jusqu'à l'aube»... Pour nous rattacher à l'illusion que nous décidons de quelque chose. Mais les illusions aussi, il faudra être prêt à ouvrir les mains pour les laisser tomber.