28.4.06

«Ce que tu as accompli n'est pas peu.
Ce que tu as achevé est une grande gloire.»

Tout est dans cet «achevé».

On ne peut pas se reposer sur ce qui est en train. Il faut finir. Que ce soit pour recommencer, pour passer à autre chose, par défi ou enfin quelle que soit la raison, il faut finir. C'est là que j'ai de la misère.

Et pourtant, et pourtant, ce journal, si virtuel soit-il, est un exemple d'accomplissement. Ce petit texte n'est-il pas le deux cent trente-neuvième de la série? Un long chapelet de courts accomplissements; beaucoup d'ordinaires, on s'entend, mais tout de même, il y a au moins là-dedans la richesse de la persévérance. Mais c'est autre chose aussi que j'aimerais accomplir, achever.

Demain, je retournerai au café Grind & Gallery, sur Hastings. Là d'où j'observe les poulets se faire conduire à l'abbatoir. Il y a bien un mois ou six semaines que je n'y suis pas allé. J'ouvrirai mon sac à dos, en sortirai mon carnet, et j'écrirai. Ce sera agréable, cette écriture secrète, que personne d'autre ne lira. Ce sera coulant, plein de détours, comme d'habitude. Mais comme d'habitude, ça tournera un peu en rond, tout simplement parce que je n'ai nulle part où aller.

Ce n'est pas nécessairement grave. Je fais confiance à l'écriture, je me laisse mener. Mais il est temps que je mette mes choses en pot pour aller les montrer au jardin. Ou que je mélange mon kool-aid et que je m'installe sur le trottoir pour le proposer aux passants.

Il faut les deux, cependant. Il faut garder un peu pour soi, comme on le fait avec les pensées et le temps. Il faut l'équilibre. Et avec mes cahiers que j'engraisse d'encre verte et que j'empile une fois remplis, je penche un peu trop d'un bord. Ce n'est pas bon pour qui cherche à parcourir la voie du milieu.

Évidemment, le blog est là pour compenser. Mais, éternel insatisfait, je demeure insatisfait. C'est vrai, quoi, j'en ai parfois honte. Je parviens tout de même à écrire pas mal (quantitativement du moins), pour un gars qui a travail et famille. Et la patrie, c'est un peu ce que j'essaie de construire à force de mots. Est-ce forcé?

C'est parce qu'il manque l'achèvement. Oui, j'ai laissé quelques belles bornes ici et là. Bien achevées, bien colorées. Mais là, le terrain commence à devenir vaste, indompté, forestueux. Et avant que de me perdre dans ces champs où poussent l'oubli, je dois laisser quelques marques, inukshuks tremblants et vertueux faits de souffle, de franchise. Oh, pas pour marquer mon territoire, je ne crois pas à ces choses-là. Non, il ne s'agit en somme que de graver quelque chose à l'intention d'autres passants éventuels. Quelque chose qui ressemble moins à «Christian was here» qu'à «Regardez, écoutez ceci...».

Le vent qui passe, la nuit qui monte, souffle froid.

Mais ces choses majestueuses, elles ne sont jamais achevées, elles. Et elles ne se plaignent pas!

Tout s'écroule. Zut, alors!

2 Comments:

At 14:18, Anonymous Anonyme said...

Il y a Musil, Christian, Robert Musil, qui a mis 25 ans à tenter de parfaire son "Homme sans qualité", oeuvre demeurée inachevée, fragmentaire, mais combien remarquable, surtout le tome II, et Clarissa et Ulrich pour ne mentionner que ses deux personnages émouvants dans cette oeuvre immense et toutes ces réflexions,ces idées, il y a Joseph Roth non pas Philip, Joseph, juif, émigré, alcoolique, pauvre, il faut lire ses oeuvres, il y a là aussi de l'inachèvement. Tout fragment a valeur d'un tout et, un jour, être rassemblé; l'espoir demeure.

 
At 15:15, Anonymous Anonyme said...

avant "être rassemblé", devait s'écrire le mot "peut", donc peut être rassemblé.

 

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