7.5.06

Un homme. Chevelure grise, bien peignée. Des lunettes de presbyte. Il a la tête penchée vers quelque document. Sa main droite est fermée, à part l'index, qui repose à la naissance du lobe de son oreille droite. Ce pourrait être un geste de réflexion, mais autre chose aussi. Les lèvres à peines entrouvertes, l'homme semble se parler à lui-même. À moins qu'il ne se chante à lui-même. Car l'homme est musicien: responsable de donner vie à une partition, il l'examine à part soi avant de demander à tous ceux qu'il mène de se lancer dans l'interprétation.

«Kommt, ihr Töchter, helft mir klagen»

Lourde responsabilité de l'homme, à la fois dans la confiance que les autres lui accordent et dans la tâche qu'il s'est donnée de rendre vivante la langue de musique. Vivante? Transcendante. Alchimiste en chef, il devra faire en sorte de moduler la pâte de l'air pour réussir à transmettre à ceux qui viennent l'écouter des émotions. Car les corps, et à travers eux les âmes, sont sensibles: les premiers aux mouvements de l'air, les secondes au message de beauté que des gens comme l'homme aux cheveux gris savent y cacher.

Si l'on pouvait convaincre Zorba de s'asseoir dans la salle de concert et d'entendre le résultat du travail de l'homme, il demanderait assurément «Patron, quel est ce mystère?». Je préfère moi-même ne pas trop y penser. À quoi bon? De toute façon, Zorba danse, boit, dort ou aime, mais ne s'asseoit pas dans une salle de concert.

Pour l'homme à chevelure grise, peu importe. Son chemin est tracé, il s'est promis de le suivre quoi qu'il advienne. Il s'est donné. À présent, le visage penche encore vers le document, mais se relève souvent pour regarder les autres. Cette page autrefois écrite par un homme seul, voilà qu'elle était devenue à l'origine d'un dialogue avec l'homme aux cheveux gris. Maintenant qu'il en partage la parole avec les autres, le document s'efface devant une nouvelle forme de partage. Grâce à lui, des hommes s'entendent et se parlent, tandis que le document maintient son silence paradoxal. L'homme a bien fait son travail.

«Höchst vergnügt schlummern da die Augen ein.»