9.5.06

Ça y est, nous y sommes. Le ciel est vert et les nuages se font discrets, là-bas, au-delà des montagnes. Et comme les jours s'allongent, je peux enfin voir les profils des anciens. Il sont là, devant moi. Couchés, ils pensent aux jours anciens en regardant naître les étoiles. Ce que je vois, ce sont leurs visages. Anguleux. Presque moussus. Pleins de rides et de replis, mais de ceux-là qui parlent de force et de sagesse. Ils attendent, respirant longuement, ne jetant un coup d'oeil vers nous que de temps en temps, comme pour s'assurer que ce n'était pas une farce, ou alors pour s'amuser de ce que nous sommes en train de faire. Ils étaient là avant; ils seront toujours là après, quand la fatigue ou la nécessité nous aura fait quitter ces terres. Chers beaux anciens, reposés, reposants, créateurs des nuages, à quoi pensez-vous pendant tout ce temps? À moins que vous ne pensiez pas; peut-être est-ce là le secret de l'éternité.

Le ciel est vert comme un lac sans fond, et l'ancien de l'est commence à se recouvrir d'ombre, tranquillement. La nuit sera courte; la nuit sera belle.

* * *

J'ai vu tout à l'heure un des visages de la poésie.

C'était sur le fil de téléphone qui funambule de la maison au poteau dans la ruelle. Trois petits oiseaux étaient perchés là, qui piallaient à qui mieux mieux. Je lève la tête et vois en plus, sur le toit de la maison du voisin, une grosse corneille avec un morceau de bouffe de la taille de sa tête entre les deux lames de son bec. De leurs jolies petites voix, les oiseaux tentaient d'en imposer à l'autre en habit noir. «Laisse-nous en un peu!», disaient-elles, à moins que ce ne fut «Va-t-en et ne dérange pas notre chant», ou tout simplement «Ne viens surtout pas prendre nos enfants en plus! Sinon...». La corneille, quoi qu'il en soit, ne semblait pas impressionnée. «Sinon... quoi?» La bouche pleine, mais silencieuse, elle s'est jetée dans les airs pour trouver un coin de ruelle où déchiqueter son morceau.