24.6.06


Vancouver est une ville de grande richesse, mais aussi de grande pauvreté. En 2003, il s'était établi un petit campement près de Science World. La police avait de toute évidence laissé faire, et au bout de deux semaines environ, la petite patch de gazon qui longe la clôture servait de base à une bonne douzaine de campements d'abord improvisés puis assez vite améliorés. Je passais devant tous les jours, et à un moment donné j'ai entendu parler certains des gens qui s'étaient établis là. C'étaient des Québécois, et l'un d'eux s'appelait Marcel. Ils sont bien restés là deux mois ou quelque chose d'approchant. Assez pour que leurs tentes deviennent de jour en jour mieux installées, avec des cordes à linge, des vestibules; assez pour qu'il s'y trouve des chaises en plastique, des tables, et pour qu'au matin on y déjeune comme en camping, sous les bâches installées en permance comme protection contre la pluie. Et puis un beau jour, le gazon avait été vidé de ses habitants. La petite communauté était dissoute, et chacun a dû continuer sa vie ailleurs.

Et voilà que l'autre jour, je vois cette scène, juste à côté de la Swiss Bakery, d'ailleurs tenue par un boulanger vietnamien qui maîtrise parfaitement la pâtisserie française. J'y vais de temps en temps acheter un pain, un sandwich, des tartelettes ou des beignes. Dans le terrain vague qui jouxte la Swiss, donc, un petit camp avait vu le jour. Chariots d'épicerie, bâches, tentes, vélos, vêtements en tas, rebuts de toute sorte: il y avait là de quoi se constituer un petit chez-soi. Pendant que je passais, un homme se dirigeait vers un des coins du terrain, probablement pour aller chier. Celui de gauche sur la photo ne voulait probablement pas être pris en photo, ce que je comprends tout à fait. J'étais moi-même assez gêné de cliquer, alors j'ai essayé de faire ça à la dérobée.

Mais qu'est-ce qu'ils pensent, ces gars-là? S'ils sont chanceux, ils auront quelques jours de paix relative, et puis on les évincera. Leur vie se déroule-t-elle ainsi, de terrain vague en terrain vague, de fuite en fuite? Et que font-ils entre deux? J'imagine que le simple fait de s'ériger un chez-soi, si temporaire soit-il, doit faire du bien à l'âme, même si on vit dans la rue. Bien placer une bâche -- qu'on a d'ailleurs trouvée soi-même, une fierté de plus! -- pour imperméabiliser son abri, c'est finalement la même chose que de refaire sa toiture à grands coups de bardeaux d'asphalte. Un peu moins durable, c'est tout.

Que font-ils donc tous maintenant, ces hommes qui vivent sales et puants, mais qui peut-être touchent à la vie d'une façon qui m'échappe? Où dorment-ils ce soir?

1 Comments:

At 17:25, Anonymous Anonyme said...

Pour les adieux, oui, c'est difficile mais on peut penser qu'un hasard nous rassemblera de nouveau; c'est possible. L'inacceptable, pour moi, l'impensable, la déchirure seraient la fuite, la disparition, l'adieu qu'on ne savait pas qu'ils existaient dans la tête de l'autre. Plus jamais de hasard heureux pour nous réunir.

 

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