3.7.06

Dans mon dos: deux bananiers. Devant moi: le dernier gros quartier de la lune, et sous elle False Creek. À ma droite, le pont Burrard, d'où provient un murmure léger. À ma gauche, le pont Granville, même chose. Sous l'arche, là-bas, vers l'ouest, derrière l'ombre montagneuse de l'île, les dernières lueurs que nous laisse voir la terre en train de se retourner sur elle-même. Illuminées d'en-dessous, les piles du pont se donnent des airs de contreforts d'un temple égyptien. La ville est tranquille, faite de lumières et de reflets dans l'eau. Quelques rares couples passent encore sur la promenade, et les petits bateaux qui font la navette passent de temps à autre, créant un remous dans la crique. De tous les côtés, des voiliers dorment, lentement ballottés par les rêves de leur prochaine sortie. Cette forme qu'ont les voiles enveloppées dans leur housse m'a toujours intrigué; on dirait une sorte de cocon dont il est tellement agréable les voir émerger...

C'est étrange de regarder Vancouver vers le sud: on ne voit que du ciel. L'échelle des maisons est basse, on jurerait qu'il n'y a là qu'un petit quartier, que tout se termine après quelques rues. Et pourtant, la ville s'étend loin, jusqu'à l'aéroport où nous avons rendez-vous vendredi. Si je me retournais, le paysage serait tout autre: forêt de gratte-ciels, carnaval de condos.

Un bateau-party passe, on jurerait un vieux truc qui marchait autrefois au charbon. À présent reconverti en piste de danse à ciel ouvert, il s'en va vers le large, laissant derrière lui comme une odeur les cris des gens qui l'occupent et le beat de la musique. Et voici à sa suite un voilier qui fend la nuit et le silence pour aller profiter du ciel de la mer. Et j'entends le vent respirer, et continuer à définir l'abondance. Comme il fait bon vivre, que ce soit sous les feuilles d'un bananier, sous celles d'un érable ou même sous les cordes à linge d'une ruelle. Je me demande cependant si ce vieux monsieur, qui pousse son panier d'épicerie où tiennent toutes ses possessions, peut penser la même chose, parfois. Je le souhaite sincèrement. On ne peut pas toujours penser à ça, mais il suffit d'une fois de temps à autre, et ça nous permet de renouveler le pacte de la vie, de reconnaître le goût qui se cache dans l'eau.

Toutes ces soirées passées à écrire m'y ont aidé, de temps à autre. C'est déjà une bonne raison d'avoir entrepris ce projet. Parce qu'écrire la feuille de bananier, écrire le monsieur qui passe, faire honneur à sa grande barbe grise, c'est regarder deux fois, regarder plus lentement. C'est important. Ces deux-là suivent une autre voie, assis sur le petit parapet de béton: il sont ensemble, eux et le silence, et sans parler ralentissent le temps, et comprennent à nouveau la marée qui s'en va. La paix du soir, heureusement, existe, elle est une richesse depuis que nous avons compris que nous avions droit d'espérer le matin. Et souvent même les guerres s'éteignent quand tombe la nuit. Quand les drapeaux, immobiles et sombres, appartiennent tous au même pays.