25.10.05

Au bas de la longue feuille jaune, ses lignes fines remplie d'une écriture belle mais tremblante, le mot FIN. D'autres feuilles, ses comparses, ont été détachées de la tablette et attendent à côté. Le crayon est enfin déposé: c'est terminé pour aujourd'hui.

Il se lève, s'étire difficilement, par petits coups. Il se sent vieux, mais il sait que c'est toujours ainsi lorsqu'il a passé plus de deux heures à écrire. D'ordinaire, il ne le fait pas pendant si longtemps, mais aujourd'hui il sentait que la fin était proche. À portée de main. Alors il fallait continuer.

Ce n'est pas encore le temps de dîner. Il décide de sortir. Le paletot, fidèle, pend à son crochet habituel. Il prend aussi sa casquette car il semble que le vent s'est levé. Il ouvre la porte dont le mouvement est rendu plus facile par le vent qui s'engouffre dans la maison. Sur l'île, aujourd'hui, il n'y a qu'une voix: celle du souffle de la terre. Il décide d'aller près de l'eau, en passant par le bosquet de pins. Le jour est gris, ça dure depuis un bon moment, pense-t-il. En quelques minutes, il arrive sur les galets. Ses pas font craquer le sol, et le son lui fait penser à des voix bien qu'il ne ressemble à rien de ce qu'un humain puisse exprimer. Les personnages de l'histoire flottent encore dans sa tête, émettant parfois une réplique autre que celles qu'ils ont pu dire sur la feuille jaune. Agissant autrement. Comment?, se demande-t-il, en aurais-je manqué une partie? Il continue de faire craquer les galets.

Comme la mer est belle, quand elle est grise! Il est heureux que malgré l'âge, sa vision n'ait pas souffert, qu'il puisse encore la regarder comme aux premiers jours de l'enfance. Quand elle était infinie. Il ne se lassera jamais de regarder la mer, ni de voir le vent la labourer et de le sentir le repousser, lui, peut-être parce qu'il ne veut pas le voir approcher. Certaines choses doivent demeurer secrètes...

La faim commence à se manifester en lui. Autrefois, il pouvait se faire une fierté de l'ignorer pour profiter plus longtemps d'un moment comme celui-ci. Autrefois, la solitude était magique et rare (il y entrait cependant avec méfiance). À présent, il n'a même plus envie de ce genre de défi. L'histoire est terminée. Il a bien travaillé.

il revient vers la maison. Une fois le jacassement des galets terminée, il la voit au loin, avec ses planches de bois blanches, claire comme un phare dans la griseur du jour. Il se hâte. Il a faim. Il entre et se dirige vers la cuisine, dépose son manteau sur la chaise, sort le pain, le jambon, le fromage. Tiens, une bière, aujourd'hui. Il se fait un sandwich et se prépare à s'installer à la table, devant la fenêtre, pour continuer à profiter du spectacle lent d'un jour de nuages. Le courrier est arrivé. Il fait un détour pour aller prendre les lettres. Il dînera en compagnie de ces enveloppes blanches, mais ne les ouvrira pas. Pas tout de suite. Le sandwich est bon et simple. Il regarde les enveloppes. Il a toujours aimé voir ces lettres écrites à la main. Il a toujours aimé voir son nom ainsi écrit en majuscules: INGMAR. Il est bon de manger. Le travail a bien avancé, aujourd'hui. Tout à l'heure, avec le vent qui chantera sa berceuse, ce sera l'heure de dormir.