21.10.05

L'écrivain réfléchit. Penché sur le clavier de l'ordinateur, il hésite. Un personnage se tient là, à portée de l'esprit. Homme ou femme, vieillard ou enfant? Il ne le sait pas encore. Il devine le contour d'une main, posée sur le dossier d'une chaise. Le personnage est-il en train de s'appuyer, meurtri par des maux de dos ou par le grand âge? Ou alors c'est un homme qui s'apprête à avancer le siège pour sa bien-aimée qui s'asseoit? Peut-être est-ce encore une jeune femme regardant ce mystère: son père qui pleure, couché sur la table de la cuisine. Sans savoir si elle doit tenter de le consoler...

L'écrivain, finalement, les balaie tous du revers de l'esprit. À quoi bon ces personnages, pense-t-il. À quoi bon appeler d'autres êtres imaginaires dans un monde qui en déborde comme le purgatoire, peut-être, déborde d'âmes en attente du jugement dernier? C'est du moins ce qu'on assurait à l'écrivain quand il était enfant... Au départ, peut-être était-ce pour cela qu'il était devenu écrivain. Chaque personnage inventé pouvait être une âme par lui jetée hors de l'anonymité d'un purgatoire. Mais les personnages s'accumulant, perdus dans les pages jaunes de romans qui se vendaient mal, lui semblèrent peu à peu prisonniers d'un autre purgatoire. Il n'avait finalement réussi qu'à les faire changer de prison.

L'écrivain se frotte les yeux pour faire disparaître les visions de mains, de chaises, de visages qui montent jusqu'à lui. Il inspire profondément, puis repousse sa chaise à lui et se leve. Il se place devant la fenêtre embuée et frotte de sa main le carreau pour mieux voir dehors. La neige tombe toujours. De son index, il trace une forme dans la buée. Ah. Pureté d'une forme sans signification, sans lecture possible autre que celle du plaisir sensuel des yeux. L'écrivain s'attarde sur cette forme tracée au hasard qui lui permet de ne penser à rien. Il aimerait, aujourd'hui, être peintre ou dessinateur. Il ferait des dessins abstraits. Mais on ne peut écrire abstrait, pense-t-il.

L'écrivain retourne à sa table de travail. Il aimerait pouvoir jouer, simplement, comme un enfant joue dans la neige, mais il se sent déjà empêché par cette intention conditionnelle. Le jeu ne peut souffrir que le présent. La tête dans les mains, il se pose des question sans mots. Et puis quelque chose attire son regard intérieur... une forme. Une main, encore, cette fois tendue vers lui. Il devine un anneau, des ongles trop rongés. Les doigts sont courts, la peau gercée, mais il y a dans le geste une grâce étonnante. Merci, pense l'écrivain, et en plaçant ses doigts sur les touches du clavier il accepte l'invitation. C'est lui, cette fois, qu'on a sauvé.