18.11.05

C'était sur l'avenue du Parc. D'où me vient ce souvenir? Une baleine bleue en néon dans la vitrine, une porte qui s'ouvrait sur un petit espace enfumé et sympathique, ancien logement transformé en bar. Un aquarium (c'était bien là, l'aquarium?). Le café Timénés. J'habitais tout près, à l'époque, alors je m'y rendais de temps à autre. Il y avait du blues, des chanteurs, mais je revois surtout un groupe de musique brésilienne avec Sari Dajani à la guitare et une fille qui chantait, j'oublie son nom pour l'instant, non: Linda Benoy. À la basse, un gars qui jouait de la six ou sept-cordes, et que plus tard on a vu à la télé. Ils étaient bons, et de toute manière la musique brésilienne a de quoi vous faire fondre. Elle a des secrets qui lui appartiennent en propre. Alors j'arrivais là en soirée, j'avais apporté mon calepin noir à dessins (tous les étudiants en architecture ont un calepin noir à dessins, duquel je m'ennuie d'ailleurs), je m'installais à une table près de la scène, commandais probablement une bière (tout en pensant que je ne pourrais pas trop en commander au cours de la soirée et que donc il fallait rationner) et commençais à dessiner. Je revois très bien certain dessin fait là-bas, un paysage d'Écosse imaginaire, désolé et montagneux mais attirant. Je passais le temps, écoutant à demi les conversations des gens autour de moi. Et puis, quand il le fallait, les musiciens arrivaient. Et la musique, la musique commençait. J'ai toujours aimé le fait qu'il fallait briser la glace dans un concert. Ces premières minutes, qui s'étirent parfois, au cours desquelles les musiciens doivent imposer leur rythme et lancer dans la salle leur atmosphère, un peu comme sur une grande table on étend une nappe, en la lançant au loin, elle flotte dans l'air un instant, et puis on ajuste le nuage de tissu qui se dépose sur l'étendue. Ainsi les musiciens lancent leur émotion dans la salle qui les accueille, et doivent parfois ajuster le tir pour trouver l'endroit qui convient. Certains ne le trouvent jamais: ils ne sont pas encore assez bons. Linda et Sari, eux, n'avaient pas ce problème. Je n'ai souvenir d'aucune chanson, d'aucune musique, seulement une image, comme un sourire, qui demeure en moi. Il n'y a que la musique qui puisse faire ça. Il n'y a que la musique, me disais-je plus simplement alors. J'avais résolu ce soir-là qu'il me fallait devenir musicien... ce qui ne s'est jamais tout à fait réalisé, ou alors pas encore, ou alors pas comme j'en ai rêvé. Après le spectacle, j'étais allé voir Sari pour lui demander s'il donnait des cours, oui, c'est comme ça que je voulais jouer, ce son clair et mélancolique, même dans la joie, si typique à la guitare brésilienne. Il ne donnair pas de cours, tout au plus était-il l'hôte parfois d'ateliers, sortes de jams dirigés. Je n'avais pas, ni probablement ne l'aurais à présent, la confiance pour participer à ce genre d'événement. Alors... Alors je suis retourné chez moi avec pour tout bagage la chaleur d'un rêve, le corps vibrant comme d'un deuxième coeur de toute cette musique que j'avais reçue. Ce devait être l'automne: il faisait toujours froid quand j'allais au café Timénés. L'avenue du Parc, toujours aussi déprimante quand vient la nuit, ne me dérangeait pas ce soir-là, malgré la solitude, malgré l'hypocrisie sous-cutanée de ces promesses qu'on se fait en sachant bien qu'on ne les tiendra pas. Tout allait bien: la musique transcendait tout ça. Et la musique, ça dure, la preuve étant que me voici bien des années plus tard à parler de cette soirée fugace dont rien ne prouve l'existence sinon mon souvenir. De l'air qui vibre: ce n'est pourtant pas bien plus que ça, dirait le scientifique. Mais de l'air qui vibre, et une existence est changée.

1 Comments:

At 17:18, Blogger René Laporte said...

C'était bien là l"aquarium!

 

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