23.11.05


Elle habite au bord du chemin. Les passants la croisent, le matin, détournent un instant le regard puis poursuivent leur route. Tout le monde a quelque part où aller.

Elle connaît les voisins. Ils se sont faits peu à peu à sa présence. Ils n'aiment pas quand les enfants approchent trop, et pourtant elle les aime bien. Elle aimerait leur offrir des bonbons, mais elle ne le fait pas. On ne sait jamais ce qu'ils pourraient penser. Elle réserve pour eux ses sourires, de grands sourires qu'elle s'efforce de réussir sans qu'il paraisse qu'il lui manque une dent. Elle est heureuse: cela lui rappelle deux ou trois sessions d'un cours de danse où on lui faisait pratiquer la révérence. Elle aussi était enfant. Elle ne se souvient que des dames lui aient souri.

Elle a un horaire bien réglé, ce n'est pas une traîneuse. Quand elle perd du temps, c'est qu'elle n'a pas eu le choix, c'est qu'elle a été retenue. C'est qu'elle veut cacher sa peau bleue. La peau ne devrait pas être bleue.

Elle se promène drôlement, parfois. Elle le sait. Elle fait de son mieux, mais... Oh, et puis des fois elle se laisse aller. Elle se dit qu'eux aussi se laisserait aller... S'ils savaient. Mais personne, apparemment, ne veut savoir. Ils aiment mieux faire un grand détour que de savoir. Elle, elle n'aime pas les détours. Elle aime ce qui est simple. Si difficile... Et pourtant la liberté, ça devrait être simple. C'est ce qu'elle pensait, au début. Et puis elle s'est aperçu que ça, comme tout le reste, était monnaie d'échange. Alors il a fallu acheter la liberté.

Elle aime ces petites libertés, toutes petites, qui grandissent en elle. Elle aime pouvoir choisir d'être libre. Quand elle veut. C'est un pays qu'elle aime parce que là, on ne lui demande rien. Comme au pays de l'enfance idéale.

Elle attend, maintenant. Le jour s'achève; ils ont fini de travailler. Ils vont bientôt passer, ralentir, abaisser les vitres. Alors, elle devra bien s'approcher. Elle voyage par affaires. Elle colporte la simplicité.

Elle veut gagner sa liberté.

1 Comments:

At 19:50, Anonymous Anonyme said...

« Ange souriant, sensible figure, / bouche faite de cent autres figures / ne remarques-tu pas comment nos heures / glissent et tombent du plein cadran solaire

où le nombre entier du jour se tient en profond équilibre / parfaitement réel / comme si toutes les heures étaient pleines et mûres ?» Rilke

Christian, merci pour cette belle page.

 

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