22.11.05


Un autre jour de brume sur la ville. Quelle merveille: le monde est redevenu mystérieux! La mer se termine là, à bout de bras, et se jette dans le néant de la fin du monde. Les bateaux restent au port. Dans les rues on avance lentement, on ne sait pas trop. On s'arrête pour regarder un tronc d'arbre et la lumière qui filtre entre les branches. On passe la main dans l'air: elle en revient mouillée.

L'eau est calme. Elle veut perdre elle aussi les navigateurs imprudents. Ou alors, perdue elle-même, elle attend le retour de la lumière. Tout est patience. Le temps semble idéal pour un meurtre crapuleux; c'est peut-être pourquoi les trottoirs sont silencieux. Attendre, attendre et observer. Tiens, là-bas, un autre vivant... On se regarde du coin de l'oeil. On essaie de ne pas marcher trop près l'un de l'autre. L'air trop épais rend visqueuse notre bienveillance. C'est un temps pour la solitude. Pour l'illumination?

Quand même: le monde peut être si beau quand il est fait d'ombres chinoises. Comme dans ces films d'animation tchèques aux personnages d'ombre que j'aimais tant autrefois, tout est en à-plat, tout se donne des airs et des poses exagérées pour compenser le manque de couleurs et d'épaisseur. Il faut donc s'imaginer ce qui manque: cette texture, ce visage, ce regard. (Les arbres aussi ont des regards.) Le monde des ombres est attirant; il vous rend presque mal à l'aise. Comme le vide: on voudrait tomber dedans.

3 Comments:

At 17:05, Anonymous Anonyme said...

« Avons-nous jamais pu, nous, ombres et fantômes / en notre précipitation à mûrir et flétrir / troubler dans leur sérénité ces étés impassibles ? » Rilke

Bonjour Christian, toujours enchanté de vous lire.

 
At 18:55, Blogger Christian said...

Merci pour ce mot du cher Rainer, toujours aussi lumineux.
D'où cela vient-il?

 
At 20:30, Anonymous Anonyme said...

« Où, dans quels bienheureux jardins constamment arrosés, sur quels
arbres, aux calices de quelles fleurs tendrement défleuries,
mûrissent-ils, les fruits étranges de la consolation ? Ces délices
dont il se peut que tu découvres l’un dans les vergers

écrasés de ta pauvreté. De l’une à l’autre fois,
tu t’émerveilles de la dimension du fruit, de son intacte
perfection, de sa douceur de peau, dont tu ne fus privé
ni par l’oiseau léger, ni, dessous, par la jalousie

du ver. Y a-t-il donc des arbres sous le vol des anges,
et soignés si étrangement par de secrets jardiniers de lenteur,
qu’ils portent fruit pour nous, sans nous appartenir ?

Avons-nous jamais pu, nous, ombres et fantômes,
en notre précipitation à mûrir et flétrir,
troubler dans leur sérénité ces étés impassibles ? »


Rainer… Les Sonnets à Orphée (#17), traduit par Armel Guerne, Seuil 1972

 

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