2.11.05

Novembre déjà. Et novembre me fait penser à Rilke. J'imagine le poète dans les brumes de la Suède, seul ou presque dans un château prêté par une duchesse. (S'il y a une chose pour laquelle Rilke était doué, mis à part la poésie, c'est pour se faire prêter des châteaux par des duchesses.) Promenades sous les pins mouillés d'eau et d'odeurs. Plaisir infini d'un sentier plein d'aiguilles jaunies. Roches. On revient, et il a bien valu de se faire mouiller un bon coup pour connaître la richesse d'un feu qui attend. Cette image pour moi est dorée comme une icône, et pourtant elle est ambigüe. Les icônes ne le sont pas, à ce que j'en sache. Voilà l'espace de l'écriture qui s'étend devant l'homme, toute une Suède offerte à la création silencieuse et riche comme l'humus. Longues, trop longues journées de la plume et du papier, poésies à n'en plus finir, une solitude si pesante qu'elle écrase toute incertitude. Seule la création, légère, immatérielle, n'est pas affectée. Lettres, mots, offrandes. Pureté.

Et pourtant, voilà aussi le continent de la solitude. Rilke, le moustachu, le pas beau, seul dans son château inutile, seul comme un chien, seul comme une pensée oubliée. Seul comme novembre en juillet. Et je demande en anglais: Sont les deux choses non-miscibles? Création et société? Bien sûr, je connais la réponse. Mais le doute subsiste malgré tout. Quoi: il y a bien ces chartreux qui considèrent que leur relation avec Dieu ne peut s'épanouir autrement qu'à travers la solitude la plus complète. Il se peut qu'ils aient raison...

Ah, oui: comme dans les domaines du château suédois, il existe de nombreux chemins. À chacun de prendre le sien -- et si on veut, on peut même choisir de faire une battue à la machette pour s'en créer un propre à soi, ou alors se faire pousser des ailes pour voler au-dessus de tout ça et transcender l'idée même de chemin. Il existe bien des façons. La mienne, semble-t-il, consiste en partie à pétrir longuement le doute, à préparer un pain d'oppositions. Il serait temps de mettre ça au four, de le bouffer jusqu'à être malade et de passer outre, à quelque chose de plus unifié. Dieu est à la fois dans la solitude, dans la moustache de Rilke, dans les châteaux suédois et dans les autres. Peut-être surtout dans les autres, ou dans ce qui nous lie à eux. Et dans l'encre, la belle encre verte!

« De quelle attente, de quel
regret sommes-nous les victimes,
nous qui cherchons des rimes
à l'unique universel? »