29.7.06

Encore une fois, si vous le permettez, je raconterai le ciel.

Oh, il s’agit d’un ciel bien ordinaire, sous lequel nous avons été des milliers à rouler aujourd’hui. Autour de nous, le long de la grande autoroute, un chemin de fer, des pylônes (quel mot étrange, et grec), beaucoup de commerces et d’usines construisant la grande laideur autoroutière, beaucoup d’arbres aussi, heureusement, d’arbres aux feuilles retournées par le vent. Et sur la route, des voitures, des camions, tout ce qui roule ou à peu près, au rendez-vous du grand ballet continu à sens unique.

Un spectacle bien ordinaire. Mais il fallait voir le ciel se démener pour mettre de la couleur dans tout ça: des roses, des orangés, un grand lavis couleur de pêche, et des nuages placés en strates diagonales, comme la roche que vient lécher le fleuve à Saint-Jean-Port-Joli, des nuages qui remontaient le ciel, marée vaporeuse qu’il était bon de voir d’en-dessous, à près de 120 à l’heure, sur l’autoroute.

Nous, les démonteurs de ciel, roulons ainsi, les samedis, à de grandes vitesses, entre des villes éloignées. Faut-il toujours aller si loin pour se rendre compte que le ciel fait de grands efforts pour se mettre beau juste au-dessus de nos têtes?

Ah, mais je sais: il n’y a pas que le ciel, dans la vie...

28.7.06

Moi, j’aimerais bien que sur le bout du quai ma mie m’attende.
Ce serait pour partir en voilier, loin comme dans les complaintes.
Et nous laisserions le temps derrière, à courir pour tenter de nous rattraper.
Il réussirait peut-être.
Mais pas avant que nous ayons passé le dernier cap.
Et le vent sifflerait tant qu’il ne serait pas nécessaire de chanter.
Mais nous le ferions tout de même, pour l’accompagner.
Pour le devancer.
Le faire renaître au monde.
Et lui dire merci, puisqu’au départ c’est lui qui nous aurait tendu les clés du fleuve...

27.7.06

Le fleuve, qu’ici déjà on se plaît à appeler la mer, se perdait en effet en un grand infini gris jaunâtre. Du bout du quai de Saint-Jean-Port-Joli, entouré de ces grandes jetées faites de rochers qui semblent l’œuvre de cyclopes, je ne percevais que les fantômes de quelques îles (les «Piliers») en amont; et, me retournant pour voir la rive, j’avais droit à ce paysage si québécois formé par un cours d’eau, un mur de feuillus et, de loin en loin, des maisons ouvrant comme des yeux dans ces boisés, avec un clocher veillant sur chaque petit regroupement.

Et j’ai entendu les cloches, aujourd’hui! Ça faisait tellement longtemps... L’Église de Saint-Jean sonne midi et six heures, le premier carillon m’ayant paru plus joyeux et plus riche de sons, le second plus austère. Je porterai attention demain pour voir si c’est bien le cas, où alors simplement une imagination de ma part.

Demain aussi, si tout va bien, un petit voilier nous emmènera faire un tour sur les grandes eaux de la rivière qui marche.

26.7.06

Je suis sorti de la maison chaude pour profiter de l'air enfin frais. Je dois faire la paix avec les maringouins; une paix à l'américaine, pourrais-je dire en étant méchant: «C'est d'accord, prenez tout ce que vous voulez, mais laissez-moi faire ce que je veux!». Ma peau est collante, à tel point qu'en allant coucher les enfants, je ne voulais pas qu'ils me touchent. Et dans ces moments-là, c'est toujours la même pensée qui me revient: Tu sais, Christian, dans pas si longtemps, ils ne voudront peut-être même plus te toucher comme ça, ils auront attrapé la pudeur; alors, tu sauras que tu as manqué un soir d'embrassades...

La matière blanche qui a longtemps parcouru le ciel se dissipe enfin, et derrière ses derniers lambeaux, la nuit, les étoiles apparaissent. Le rideau se lève une fois de plus sur ce spectacle qu'on en est venus à prendre pour acquis, un peu comme ceux du Cirque du soleil, dont on sait qu'ils existent mais qu'on va peu voir. Ou qu'on a vus il y a longtemps et où on hésite à retourner. On se dit que ce doit être pas mal semblable... et bien sûr on a tort.

Les insectes qui crient dans la nuit, eux, ne dorment pas comme les enfants. Ils doivent être heureux de la fraîcheur, s'en repaître. Pour eux, peut-être, il n'y a pas de lendemain.

Mon lendemain à moi m'emmènera à Saint-Jean-Port-Joli. Demain, j'écrirai le fleuve.

25.7.06

Il existe toujours un volcan quelque part.
Et malgré la tranquillité des jours d’été,
malgré le repli auquel oblige la pluie,
la terre,
un jour,
finit par gronder.
Et le ciel s’obscurcit -- s’illumine ensuite.
Le spectacle est terrible: la dernière beauté.
Le jour est en feu, enfin,
et des choses émergent
qui ne pouvaient plus rester cachées.

Un jour survient où le volcan prend possession
du paysage.
Un jour à désapprendre ses géographies.
Un jour difficile mais nécessaire.

24.7.06

Je cherche. Mon esprit vagabonde. Je replace les fruits dans le panier (pommes en pyramide, poires tête-bêche, bananes en empilade). Les bruits tournent alentour comme des moustiques tandis qu’une hâte de l’automne m’enveloppe de façon passagère, comme s’il s’agissait d’un parfum. L’été a toujours été le temps de l’attente.

J’ai des pêches, aussi, de belles pêches canadiennes de taille raisonnable, dans un panier de carton avec le vieux logo «Fruits de l’Ontario» qui fait bon à voir. J’aime qu’il y ait des choses qui ne changent pas (mais la poignée du panier, aujourd’hui, est en plastique).

Télé-Québec, quel plaisir de te retrouver! (malgré le manque de fonds évident autant que malheureux: les émissions semblent être absolument les mêmes qu’il y a trois ans, et chacune est en plus présentée trois fois par semaine...) Mais qui d’autre passe d’aussi bons films, en leur laissant le temps de respirer, de trouver leur souffle? Où d’autre aurais-je pu revoir les 32 films brefs sur Glenn Gould? Folie, solitude, génie... Un film qui donne le goût de plonger dans la musique, mais qui révèle aussi bien d’autres dimensions du grand Glenn. Tout de même, pour qu’on ait mis l’une de ses interprétations de Bach sur la sonde Voyager, ce spermatozoïde électronique interstellaire, il fallait que ce soit un grand, une manifestation de l’ADN humain. Avec défauts inclus, et shooté aux médicaments, mais tout de même: un éclat d’une brillance rare.

À mesure que le nouveau plancher gagne des poques, la maison prend un air habité. Nous nous apprivoisons de nouveau l’une l’autre. S’il n’était de quelques boîtes encore traînantes, on croirait déjà presque que nous sommes ici depuis, depuis... On s’adapte. Revoir des amis, aussi, est un baume qui rend le souvenir moins irritant. Votre peau redevient douce en quelques applications, c’est garanti. Et l’esprit, de nouveau, peut vagabonder.

23.7.06


Je sais que j’ai pas mal fini un déménagement quand mes trois volumes de la Recherche du temps perdu sont enfin placés quelque part sur le rayon d’une bibliothèque. Ce que je viens juste de faire. Depuis combien d’années trainé-je ces bouquins aux pages trop fines, dont la masse devient lourde et retombe entre les mains, aux pages trop chargées de texte, à tel point que, parfois, en finir une seule relève de l’exploit? Depuis quinze ans, certainement. Alors j’ai développé envers eux, malgré tout, un certain attachement, qui n’a pas été assez cependant pour me pousser, jusqu’à présent, à en finir la lecture, de sorte qu’après plusieurs épisodes de plongée dans la Recherche, j’en suis pour le moment à la deuxième partie de Sodome et Gomorrhe, soit un peu plus loin que la moitié, mais l’entreprise a été mise de côté depuis de très longs mois.

Je suis quelqu’un qui commence beaucoup de choses -- mais qui en finit beaucoup moins.

Les déménagements ont cela de bon qu’ils nous permettent de réaliser certaines choses qu’on saisit autrement plutôt mal: lourdeur de tout ce qu’on amasse sur son chemin; importance très relative de certaines choses auxquelles on croyait pourtant tenir très fort; douleur incompréhensible que cause le fait de ressentir physiquement le passage du temps (on retrouve telle photo, tel dessin, telle lettre, et c’est comme si on voyait soudain notre vie avec, en surimpression, des graduations semblables à celles qu’on trouve sur une tasse à mesurer...). J’ai sorti tout à l’heure d’une boîte des piles de pages remplies d’encre verte, celle que je privilégie. Certaines faites de lignes bien droites, à l’écriture presque calligraphiée; d’autres à la texture croche, avec ratures, dessins, changements de sens. J’ai connu le désir de m’y plonger, de lire moi, mais il fallait ranger et j’ai donc préféré considérer le tout en tant que chose pesante, accomplissement à la livre.

(Autrefois, ma mère achetait ainsi certaines choses à la livre, par exemple chez Favorite, dont nous prononcions le nom en français. Dans cette boucherie au nom pourtant bien anglais, les travailleurs étaient Hongrois, je crois, et les enfants qui y venaient avaient droit à de petits bonbons tendres à saveur de fruits, qu’à ma connaissance on ne trouvait pas ailleurs.)

J’ai donc rangé mes écrits à la livre sur une tablette de ma garde-robe. Il s’agit évidemment du pire endroit pour des écrits: les voici flottant dans de sortes de limbes, pas tout à fait existants, mais pas non plus oubliés complètement.

Et puis il y avait les cahiers (car je parlais jusqu’à maintenant d’écritures sur pages blanches, flottantes, morceaux d’écume sur une mer heureusement infinie). J’adore les cahiers. Voudrait-on me faire plaisir, on n’aurait qu’à m’offrir un beau cahier, belle couverture, pages douces et blanches, ou crème, ou parcheminées, peu importe pourvu que la plume y coule comme un noyé qui serait heureux d’aller trouver l’abysse. Je sais, c’est un peu étrange, comme image, mais pas de censure, Bergeron, pas de censure (aurait pu dire monsieur Valiquette, prof de secondaire à la barbe longue et à la verve démesurée). J’aime les cahiers et j’en possède plusieurs, des grands et minces, des moyens, des petits qui deviennent carnets de notes, des beaux, des ben ordinaires, chacun ayant été acheté avec une fonction assez précise en tête: pour quand je vais écrire au café, pour avoir sur moi en tout temps et prendre des notes sur le vif (ça ne fonctionne jamais mais j’en possède plusieurs de ce type), pour l’écriture matinale quand je la pratique, pour sortir des idées d’histoires, pour laisser place au dessin (les Clairefontaine non lignés).

Acheter un cahier neuf! La joie! Le monde devient un instant fait uniquement de possibles: naîtra-t-elle dans ces pages, la phrase-fleur (oui, il pourrait suffir d’une seule) qui couronnera cette existence? L’opuscule deviendra-t-il lourd d’écriture verte et sans conséquence mais assez beau pour devenir objet agréable à regarder? S’agit-il d’une fenêtre qu’il sera possible d’ouvrir sur le joli paysage du plaisir de l’écriture (et à chaque fois qu’on veut ainsi ajouter une fenêtre à son petit édifice, on se dit qu’il n’y a peut-être plus assez de place sur les murs, mais que peu importe après tout puisque l’essentiel est de voir, voir, voir!).

Et puis on commence à écrire, et l’écriture est chose vivante, l’écriture peut avoir mal, elle est parfois euphorique, parfois ennuyée, elle peut être malade, s’égarer, méditer, exulter, elle peut regorger de confiance ou au contraire vouloir se terrer, anonyme, et même remonter le courant, changer de sens, changer de vie, changer de nom. Et il arrive même qu'on craingne pour sa vie.

Tout ça pour dire que mes cahiers sont souvent laissés à l’abandon. Et je me dis alors, pour m'encourager, que toute ces pages blanches qu’il leur reste leur permettent de mieux respirer... Mais dans ces champs stériles ne poussera aucune herbe folle.

Ces jolis cahiers ne sont que des projets laissés en plan. Des clôtures non terminées. Des cartes du ciel où quelques étoiles seulement apparaissent.

Et pourtant, oui, chacun d’eux est aussi une bouteille où se trouve un espoir, une larme, un souvenir, une image. Et comme de l’écume, jamais la mer ne pourra se lasser de bouteilles.

22.7.06

Je viens finalement de passer le point milieu de la Comédie. Mais après déjà quelques mois, je suis Dante et Virgile un peu par devoir. (Le panneau routier indique: Attention, monument à contourner.) J’admire l’inventivité de Dante, mais je m’intéresse peu au cheminement moral qu’il expose. Et pourtant...

Et pourtant j’aimerais savoir pourquoi ce cher Nikos a tenu près de lui, toute sa vie, jusque sur son lit de mort en Allemagne, son exemplaire format réduit de la Comédie. Évidemment, polyglotte qu’il était, il devait lire l’italien d’origine, tandis que je me contente de la traduction. Peut-être qu’il y a dans les tercets de Dante une beauté qui m’échappe, malheur à moi. Mais cette idée m’intrigue. J’imagine Nikos, à la faveur d’un moment de désœuvrement (tel qu’il ne dut pas en connaître des masses), se replongeant dans tel passage du maître, retrouvant une saveur connue mais qu’il aimait à explorer plus à fond ou simplement retrouver pour mieux passer le présent. Revenant auprès de l’ami.

Je perçois la dimension mythique, odysséenne, et il est vrai que Kazantzaki travaillait lui aussi le mythe. Mais pour une lecture engageante, on repassera. Je ne dois pas le lire de la bonne façon.

Chose certaine, cependant, l’enfer était bien plus intéressant que le purgatoire. Mes excuses à monsieur Dante, mais j’ai peur que ce soit carrément plate une fois rendu au paradis!

21.7.06

Doucement s’endort la terre
dans le soir tombant
ferme vite tes paupières
dors mon tout petit enfant

Dors en paix près de ta mère
fais de beaux rêves bleus
au matin dans la lumière
tu t’élanceras joyeux

Sur ton lit la lune pose
ses rayons d’argent
quand s’apaisent gens et choses
dors mon tout petit enfant

Je chantais à mon petit Benoît, tout à l’heure, cette berceuse russe adaptée en français. Une musique très belle, avec des tournures slaves mélancoliques.

Comme j’étais fatigué moi aussi, je me suis étendu dans le lit du petit. J’ai chanté ma chanson, que je prolonge toujours par des mmm-mmm parce qu’elle est assez courte. Benoît ne portait qu’une couche parce qu’il fait chaud, alors nous étions étendus peau contre peau, à nous regarder de temps à autre dans les yeux, pensifs et las, dans un de ces moment d’intimité inimitables.

Et puis j’ai fermé les yeux. Je ne me suis pas assoupi; je me retenais, parce que j’avais d’autres tâches à accomplir ensuite. Mais c’est comme si je m'étais donné une longueur de corde de plus, tout en m’empêchant de passer la porte du sommeil. Benoît restait calme: ce n’est qu’ensuite, quand je quitterais son lit, qu’il chignerait et se relèverait. Pour lors, il demeurait sur le dos, près de moi, tenant sa petite couverture dans une main.

Et tout à coup c’était comme si les rôles s’étaient inversés. Mes yeux fermés, le corps légèrement recroquevillé, je me sentais en sécurité, protégé par mon enfant. J’étais bien: je lui laissais la tâche de veiller. Je n’avais besoin que de sa présence près de moi pour pouvoir me laisser aller totalement. J’allais écrire «sa toute petite présence»... mais ce qui est fantastique, c’est justement que l’être a dès sa naissance toute sa présence. Ce qui change? La façon de l’exprimer.

J’ai été là une minute, tout au plus. Mais comme elle a fait du bien, cette minute, à se sentir épaulé, même soutenu. Et puis il a bien fallu se lever et poursuivre la routine. Benoît n’aimait pas être seul et, ayant rejeté sa tranquillité avec sa couverture, s’est levé lui aussi quelques fois avant de s’endormir finalement.

Il dort seul, maintenant.

Ah, comme elles sont nombreuses, toutes ces nuits que nous passons seuls!

20.7.06

Tandis que chez les voisins les fenêtres s'illuiminent des éclats mauves des télés, je suis là, les pieds pleins de piqûres de maringouins. Le vent est ma récompense, mais il ne m'enlèvera pas un mal de dos exacerbé par la chute de hamac que Renaud m'a fait subir. Et pourtant, ce ne fut pas un jour reposant: quarts de rond à vernir, tablettes à installer, repas à faire, couches à changer, enfant à endormir, etc. La maison occupe, la maisonnée tout autant. Et dire que je suis en vacances!

Je ne sais même pas si ce grésillement que j'entends est produit par des grillons, des fils électriques ou quelque filtre de piscine du voisinage. Dilemme de l'urbain. Ah, si le son de la nuit pouvait être le plus fort, plus fort que celui des voitures sur le boulevard Taschereau, plus fort que les climatiseurs. Si le silence pouvait enterrer les sons indésirables... Mais il ne serait pas, alors, le trésor que l'on va chercher si loin, et qui peut prendre tant d'importance quand on le trouve.

Le silence, de toute manière, est impossible. Même le cosmos fait du bruit... Il suffit de porter l'oreille aux choses qui nous importent, peut-être, et de faire fi du reste.

Et pourtant, ces épinettes qui me voisinent, leur ombre dans la nuit me paraît construire une boule de silence importante, aérée, pleine de fibres qui filtrent les sons. Heureusement qu'elles sont là.

19.7.06

Les contes de la voûte étoilée.

J'ai été dur autrefois avec le ciel montréalais. Je le traitais de pâle, laissant par là entendre qu'il n'était peut-être plus authentique parce que trop dilué dans la lumière. S'il est vrai qu'il est moins profond qu'ailleurs, il n'en demeure cependant pas moins que c'est le ciel de centaines de milliers de personnes, lesquelles se vouent à lui, l'admirent, le détestent, l'évitent, le consultent, etc. C'est le décor de toutes ces vies et les décors, on le sait, on le sent, se valent.

J'ai entendu aujourd'hui une belle chanson. C'est sur un disque que je traîne depuis un bout de temps dans mon Chevrolet Venture 98: The Long Black Veil, des Chieftains. C'est un disque de vedettestypique des années 90, chaque chanson étant interprétée par les valeureux Chiefs avec un invité de marque comme Sting ou Mick Jagger ou Mark Knopfler. Très bon, ceci dit. Et il y a là-dessus une chanson interprétée par une irlandaise magique: Sinead O'Connor. Je n'ai jamais bien compris ce qu'elle y raconte, dans cette chanson, sauf qu'aujourd'hui j'ai pu capter que le personnage de la chanson, qui doit mourir, dit vouloir mourir sous un ciel irlandais. J'ai trouvé ça beau, qu'on dise sous le ciel plutôt que sur la terre. Comme si notre vrai pays était là, sous les étoiles, dans cet espace immatériel, dans cette substance d'où nous tirons notre premier respir.

L'autre jour, un gaspésien me parlait de ce qui était pour lui l'essence de son pays, et c'était affaire d'odeur dans l'air et de neige tombée du ciel.

Dans une histoire de Tremblay, merveilleusement rendue pour la radio il y a environ quatre ans, il y avait cet épisode où une femme de Montréal va passer une fin de semaine à la campagne. La seule de sa vie, dirait-on. Et une fois sur place, une fois la nuit tombée, elle n'en peut pas de tant d'espace, de cette fenêtre sur l'infini, de toutes ces bornes disparues sur lesquelles elle se fiait quand elle était en ville. Elle était tombée dans le puits aux étoiles.

Et dans mon rêve d'hier, point d'étoiles, mais un autre puits: celui des souvenirs. Eux aussi planent au-dessus de mon existence, parfois brillants, parfois pâles, d'autres fois miroitants comme mirages. Eux aussi contribuent à construire mon décor.

18.7.06

Le nord est bien plus à droite que je ne l'aurais cru. Je le sais parce que ce soir, j'ai droit au spectacle de l'étoile polaire: elle est là, à ma droite, en haut de l'épinette. On dirait que le ciel est plus sombre, ce soir. C'est comme nous: parfois on se trouve plus ouvert, on hésite moins à se dévoiler. Alors je distingue très bien quelques dizaines d'étoiles et même, comme au second plan, une texture secrète dans le ciel, la présence effacée de toutes les autres, les innombrables autres.

C'est à elles que je vais confier mon esprit à présent. Car je n'en puis plus. Je ne tiens plus debout.

17.7.06

D'un perron de ciment à l'autre (A peronus ad peronum, ou quelque chose du genre), me revoici sur les marches du mien, rue du Curé-Guay (Hercule, de son petit nom). Et j'attends l'orage comme une délivrance. Après une journée d'asservissement sous la botte du soleil, le vent est devenu fou et court partout comme pour porter la bonne nouvelle: il fait bon, il va pleuvoir. Les arbres et les bosquets remuent leurs feuillages flasques et essaient de se faire beaux, chacun voulant être le premier à recevoir l'eau si bonne, si fraîche.

D'ailleurs, tiens, la voici! Mon ordi et moi en accueillons les première gouttes; je recule vers la porte, les pieds dehors. Un éclair passe, puis un autre: l'oiseau-tonnerre fera bientôt claquer ses grandes ailes. J'ai les orteils mouillés, et la pluie a senti la porte ouverte. Croyant être la bienvenue (ce qui n'est pas faux), elle tente d'entrer. Je vais devoir quitter, car je profite d'une connexion pirate pour laquelle il faut être à l'extérieur. Dommage... À quand les ordis imperméables?

Bon orage à tous.

16.7.06

Les paysages ressemblent à de vieux amis qui ne nous quittent vraiment jamais. Je repensais aujourd'hui à ces vieux indiens immémoriaux que j'ai connus là-bas, et qui me montraient leurs profils silencieux. Ils attendaient, peut-être, le jour lointain où il leur serait permis de se relever.

Je garde en moi ces profils bleus sur fond de ciel en couleurs.

Ici, cependant, le ciel était blanc, chargé d'eau et de songes. Et le paysage qui réjouissait le plus l'âme était celui des feuilles retournées, lorsque le vent coquin parvenait à nous faire voir leurs dessous chics, pâles, argentés. À côté, dans le champ qui profite de son état de champ tant qu'il le peut encore, en se rendant bien compte que ça ne devrait pas durer, cette couleur vert-argent valait bien à l'observateur chargé de chaleur le goût de la crème glacée. Par exemple.

15.7.06

Où l’on voit que la nuit trouve notre héros.

Elle n’y manquait d’ailleurs jamais, ce qui n’était pas pour déplaire au héros en question. Si la tâche lui était revenue à lui, en effet, aurait-il vraiment pu être certain de la trouver? Chaque soir? L’entreprise serait, à tout le moins, risquée. Mais heureusement, les choses étant ce qu’elles sont, notre héros n’avait même pas à retourner cette idée dans sa tête. Alors, sirotant un petit verre de rhum, il se disait en lui-même que la vie est bien faite, tout de même.

La nuit l’avait trouvé malgré la chaleur, la nuit l’avait trouvé malgré l’humide indifférence des choses. Dans cette touffeur, si l’on pouvait dire, le goût du rhum coulait à merveille, tropicalement, exactement comme une rivière se creuse un lit à sa mesure dans le terrain qui l’accueille. Et comme la rivière devient le terrain, et le terrain la rivière, le rhum devenait un peu notre héros, et inversement. La frontière entre les choses, se disait-il donc en portant attention au goût de sucre brûlé, est si relative...

Il parcourait d’ailleurs avec une certaine agilité la frontière entre veille et sommeil. Il se disait qu’en continuant ainsi un certain temps, ou même un temps certain, il pourrait devenir un funambule du somme-veille, la frontière quittant d’abord le sol (où elle ne s’était évidemment jamais vraiment trouvée, mais il faut bien respecter les images) pour s’élever jusqu’à devenir fil hautement tendu entre ces deux états de la conscience. Et notre héros de s’imaginer marchant lentement sur le filin ésotérique, glissant avec adresse un pied chaussonné après l’autre pour avancer, tout simplement, sans aucun désir de se rendre de l’autre côté.

Alors, quel désir pouvait bien agiter notre héros (pour peu qu’il connût la faiblesse d’en posséder)? Aucun, si ce n’est celui de tomber (par accident?) pour connaître dans quoi l’on chutait quand on lâchait prise, quelque part sur le chemin qui lie veille et sommeil.

14.7.06

Le vent nous passera tous sur le corps. Pourquoi alors perdre son temps en guerres futiles? J'ai parfois rêvé d'inventer un nouveau principe, ou à tout le moins de voir quelqu'un l'inventer, comme jadis un seul homme (d'après ce qu'en retiennent les livres d'histoire, en tout cas) inventa la Croix Rouge. Je me disais: Si cet homme a pu créer un mouvement qui a fait valoir l'importance d'accorder des secours même au beau milieu de la bataille, pourquoi ne serait-il pas possible de créer un mouvement qui parvienne à rendre inutile les batailles en premier lieu? Ouais, je sais, c'est adolescent, romantique, etc. Mais c'est ainsi que commencent bien des grandes choses. Je n'ai rien fait pour que survienne ce mouvement, ceci dit, car je suis arrêté par le fait que je ne croie pas qu'il soit possible. Mais la personne que cette idée n'arrêtera pas pourrait bien y parvenir.

Le vent passera toujours.

Quand je me couche, ces temps-ci, je sens mon corps comme un fardeau. La fatigue, le mauvais lit y sont certainement pour quelque chose, mais il y a plus. L'âge? Peut-être. N'empêche, c'est une drôle de réalisation. Quand on parle de spiritualité, on entend souvent dire que le corps est comme un voiture qui permet à «soi» d'évoluer dans... disons... la «manifestation». Ou la création. Alors bien sûr, on pense aux petits bruits, aux réparations d'usage, etc. Mais ce n'est pas de cette façon que ce sentiment de fardeau me frappe. C'est plutôt comme la réalisation que oui, il y a cette dimension corporelle de moi, et que j'en sens les rouages soudain comme si j'ouvrais le vieux réveil-matin imaginaire de mon grand-père pour découvrir la forêt d'engrenages qui l'habite. Le tic-tac vient de gagner une dimension nouvelle. Fascinant. Sauf que le tic-tac dont je découvre l'univers ne se fonde pas sur un mécanisme qu'on peut remonter. Et c'est comme si au lieu d'entendre sonner «Maintenant, maintenant, maintenant...» (qui pourrait être la trame sonore de l'enfance), j'entendais, ou pressentais «Moins un, moins deux, moins trois...».

Et je sais que l'esprit peut venir à bout de ce mauvais calcul, qui de toute manière ne devrait même pas l'affecter. J'allais écrire que l'esprit doit être libre comme le vent, mais ce n'est pas assez. Et puis cette chanson de Nina Simone m'a sauté dans la tête comme un lapin émergeant de sous une épinette: Wild is the wind. Oui, c'est ça; pas libre: sauvage. Car l'existence sauvage ne connaît même pas le concept de liberté; elle n'en a pas besoin. Elle est la liberté, avant que le mot soit inventé, en dehors de tout mot qui tente de décrire cette idée.

Et là où il n'y a pas de mots... il n'y a pas de tic-tac.

13.7.06

Aujourd'hui j'ai acheté un frigo. Chez Léon. Un immense magasin où l'on vend de quoi remplir toutes les pièces de sa maison.

Les vendeurs (J'ai conversé longuement avec deux gars différents pour tout savoir sur les appareils de réfrigération des aliments) étaient ben corrects, bien honnêtes pour des vendeurs. Des gars qui savent de quoi ils parlent; ça fait quand même plaisir.

J'ai aussi parlé un bon bout avec Sylvain Plante, entrepreneur de son état, relativement à la réfection du revêtement extérieur de ma maison. Un gars de confiance, aussi, selon toute apparence. Important, quand il s'agit de confier, pour refaire le tout, plus de dix mille dollars (dont une bonne partie doit provenir d'une subvention, précisons-le). J'aime les gars de la construction quand ils sont francs et qu'on sent qu'ils maîtrisent leur affaire. J'aime donner du travail valorisant à quelqu'un, comme j'aime qu'on m'en donne.

Ce que j'aime moins, c'est écrire des banalités. Désolé.

12.7.06


Une fenêtre sur le pays du delà. C'était l'autre jour, dans l'avion...

Impossible, il me semble, de rester insensible à cette couleur profonde. Impossible de ne pas se poser une question, quelle qu'elle soit. Impossible de fermer le volet.

Et l'on voit que les nuages, finalement, sont eux aussi créatures de la terre.

Enfin...

Enfin les feuilles me parlent. Nous sommes seuls, elles et moi, dans la cour de la maison paternelle. Bon, il y a les maringouins, aussi, mais le dialogue avec les arbres vaut bien ce désagrément. Et puis il faut qu'elles vivent aussi, pauvres bêtes!

Mais -- n'est-ce pas vrai que ce qu'on murmure est ce qui a le plus d'importance? Et à ce compte, les arbres sont parmi les plus francs parleurs. Car il ne faut pas parler trop fort pour pouvoir les entendre: c'est à ce prix peut-être que la franchise est offerte. Oui, le silence est le terreau qui permet à bien de belles choses d'éclore.

Et tandis que mes yeux se font à la noirceur relative (ô combien, pour un soir, j'aimerais connaître la noirceur médiévale!), que je déchiffre une à une les quelques étoiles qui parviennent à crier leur lumière jusqu'ici, les feuilles s'unissent pour me chanter leur journée. Elles sont légères: c'est la nuit et le temps enfin de se raconter, de dire tout et rien, de partager ces petites choses qui font que la vie est salée, et que sous la chaude molesse du jour on n'avait pas le goût ni la force de dire.

Qu'il est beau le langage des feuilles! Il est chantant comme les parlers de la Méditerranée, mais profond comme la Boréalie. C'est un parler doux et autoritaire à la fois, une langue de savoir et d'intuition. Il fera chaud demain encore, alors les feuilles ont beaucoup à dire.

Et moi, tel un saint Jean qui écouterait en espérant pouvoir mettre tout ça sur papier, je me tiens prêt, plume à la main*, et j'attends...


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* Ou ce qui en tient lieu en ces temps où l'enluminure n'a plus cours.

11.7.06

Premier orage en trois ans. Là-bas, sur l'autre côte, cela n'existe pas. Quelle énergie dans ce gris dont était fait le ciel! Et quand un éclat argenté a troublé mon regard le temps d'un instant, je me suis d'abord demandé ce que ça pouvait être. On ne voit que rarement les éclairs de front, le plus souvent ils ne sont qu'un «fleeting glimpse» pinkfloydien. J'ai même eu peur, je crois, l'espace d'un... éclair. Voyons, ce n'est pas possible... Tant de clarté... Et pourtant, quelques secondes plus tard venait le grondement terrible et magnifique qui expliquait tout. C'était un orage bref, passager comme ils le sont presque tous, mais aussi plein de pluie libératrice. La peur et la gratitude dans un même événement majestueux: voilà la nature comme je l'aime, grande, menaçante, difficile d'approche mais magnifique, enveloppante.

Entretemps, je suis passé de l'entourage d'une autoroute à une autre, que j'entends murmurer dans la nuit. Les vents me sont défavorables à cet égard. Un arroseur automatique fait crépiter son jet sur les feuilles des arbres et arbustes du voisinage. Et ces deux sons malheureusement ne laissent place à aucun autre; c'est la nuit suburbaine. Mon orage, lui? Il existe peut-être toujours, occupé à déranger d'autres, ailleurs. Les orages ne tiennent pas en place.

10.7.06

Merci ! Vous êtes tous vraiment gentils.

* * *

Il fait bon, ce soir, il fait mieux. L'air est doux et tranquille. J'ai passé une partie de la journée à peinturer notre cuisine: occupation simple et constructive. La maison a retrouvé un air accueillant grâce au dévouement de beaux-parents pas arrêtables. Mais elle est toujours vide. Le grand camion orange arrivera demain, le ventre plein de ces objets qui nous servent un peu de bouées: nos choses. Alors nous pourrons recommencer à habiter vraiment un lieu et, tranquillement, à l'appeler chez-nous.

Longueuil me désole, cependant. L'amour de l'asphalte qu'on y observe! Combien de maisons sont ainsi entourées de cette pâte goudronnée sans âme, pas seulement l'entrée pour la voiture, mais le devant, les côtés, jusque derrière la maison. Plus facile à entretenir, je supose, mais aussi tellement triste. Il me faut de la verdure, à moi, et dans ce domaine je ne parviens pas à comprendre ceux qui pensent autrement que moi!!!

Alors demain, je sortirai d'une boîte cette machine à élaborer des forêts: mon lecteur de musique. Et je remplirai, dès que je le pourrai, les pièces de ma maison de volutes mélodiques. Ce sera à la fois parfum et incantation pour chasser les esprits qui ne font pas mon affaire. Et puis il s'agira de se laisser porter par la douce marche des choses, comme un renard qui se surprend à devenir, lentement, apprivoisé.

9.7.06

Je porte en moi une fatigue d'une espèce rare. Un fatigue qu'on pourrait mettre au zoo.

Je suis revenu.

Hier matin, deux taxis sont venus nous prendre à sept heures. Nous avions très peu et mal dormi, et le jour s'était levé dans l'énervement. En vitesse, nous avons grimpé le pont Granville, puis continué sur la rue du même nom, le long de haies très hautes et de maisons cossues. Nous sommes vite arrivés à l'aéroport. Tout est allé si vite. Pas le temps d'être ému.

Avant hier, c'était autre chose. Il s'agissait de faire la tournée des gens au bureau, de donner des embrassades ou des poignées de mains à tout le monde (chez les anglais, on ne fait pas la bise, ce qui fait qu'on se retrouve parfois collé sur une poitrine, entre les bras de quelqu'un dont on ne se sent pas vraiment proche; d'autres fois par contre, on trouve ça bien parce qu'une bise n'aurait pas été assez mais que notre habitude à biser nous aurait retenu de se lancer dans une embrassade). C'est une chose ardue, que de dire un long au-revoir à une bonne quarantaine de personnes. Et malgré tous les bons mots, malgré tous les encouragements, malgré que je connaisse les raisons d'un départ que j'avais par ailleurs moi-même provoqué, c'était dur. Je suis comme ça: sensible. Alors à la fin je ne parvenais plus à retenir mes larmes, parce qu'évidemment j'avais gardé les plus près de mon coeur pour la fin: comment aurait-il pu en être autrement? Et j'ai marché une dernière fois, seul et les yeux pleins d'eau, le trajet que l'on fait quand on sort de la job, ce trajet même que la plupart du temps on est si heureux d'entreprendre.

De sorte que bien des choses ont pris fin ce vendredi 7 juillet 2006. Ou se sont transformées, voyons-le un moment comme ça. Mais j'ai quitté un pays des nuages.

L'autre, j'espère le porter à jamais en moi.

Il est difficile de revenir aux choses connues. Même s'il s'agit de choses belles, comme l'amour, l'appartenance, la compréhension. L'amitié. J'ai besoin de temps.

Parlant de temps, j'ai commencé ce blogue avec l'objectif d'écrire un an. Cela mènerait au premier septembre prochain. Mais j'avoue que je ne sais plus trop. Car l'un des autres objectifs était de faire une sorte de journal de ma dernière année vancouvéroise, qui est à présent terminée. Il me faut quelques jours pour y penser. Si vous lisez ceci, écrivez-moi un mot, comme une carte postale, ça me ferait plaisir... J'ai l'impression de n'être pas encore tout à fait arrivé à destination, de sorte que je me sens nulle part. Envoyez-moi une carte vers nulle part...

7.7.06

. . .

(silence)

6.7.06

Ce soir: étoiles et nuages dans le ciel.

Demain: jour des adieux.

Soulagement, mais tristesse. Fatigue. Fin.

5.7.06

Il y avait de la musique à la télé, tout à l'heure. On alternait entre le quatuor et le duo piano-voix. J'aime bien regarder ce genre d'émission; seulement, j'aimerais avoir une installation sonore de qualité, et j'aimerais qu'on présente la musique classique dans un autre décor qu'une sorte de salon imaginaire du XIXe siècle. Tout y était: draperies de velours, robes que personne ne porte, colliers de perles, noeuds papillon. Et cette chanteuse qui regardait droit devant elle, elle n'avait de toute évidence pas l'habitude de la caméra. J'aurais voulu des jeans et des t-shirts, des chemises belles et actuelles, des décors ordinaires ou alors évocateurs tout en n'étant pas fait de poussière. Mais la musique était belle. Très classique: La Truite, un Nocturne de Chopin, etc. Et pourtant, il y avait ce lied que je n'avais jamais entendu: Erlkönig. Très connu aussi, paraît-il, mais je l'entendais pour la première fois. Je ne suis pas amateur de lieder, ceci dit, et dans celui-ci, c'est le jeu du piano qui m'interpellait le plus. Énergique. Urgent. J'y reconnaissais bien cet esprit passionné de Schubert, qu'avec le recul de l'histoire je suis tenté de qualifier de «qui n'a pas de temps à perdre». Et pourtant bien d'autres de ses oeuvres font probablement mentir cette description. Enfin.

Tout ça me faisait penser au génie, au fait que l'on joue encore Schubert aujourd'hui, à la télé par exemple. À ce qu'un homme peut laisser en héritage, cette richesse incomparable donnée à des générations de semblables. Nous sommes tentés de dire, aujourd'hui, que la vie de Schubert a été riche, bien que courte, puisqu'il nous a laissé tant de choses belles, importantes, transcendantes. Mais je me suis demandé si Franz lui-même n'aurait pas échangé un peu de tout ça contre une vie plus longue, d'une durée ordinaire...

Évidemment, on ne peut pas poser de tels problèmes. Tant mieux, d'ailleurs. Mais tout de même, dans l'intro intense d'Erlkönig, j'entendais cette question impossible.

4.7.06

Ma peau est sèche et douce, ce soir. J'aime frotter mes pieds l'un contre l'autre, mettre mes mains l'une dans l'autre. Ma peau est chaude, pleine de soleil, piquante dans le cou, molle dans le dos. Je me sens lumineux dans le soir, suspendu au-dessus d'un ciel froid que parcourent des étoiles, des oiseaux. Le vent fait frémir les arbres et tente de me rafraîchir, sans succès.

Les gens passent, légers, entrant et sortant des édifices, promenant leurs chiens, se rendant vers les quais ou en revenant après une journée remplie d'insouciance. Et n'est-ce pas là notre refuge à tous? La beauté du monde est telle que nous pouvons souvent y trouver le remède contre la tristesse, la peur, la solitude, l'énervement. Mais se pourrait-il que ce que nous avons sous les yeux ne soit que la face toujours même d'une lune obstinée, que l'écorce fragrante d'un fruit inconnu? C'est pour cela peut-être que nous passons de belles et longues journées, dès que la chose est possible, sur les plages et les bords de l'eau, désireux d'imprimer dans la peau qui nous tient la chaleur qui endort, qui caresse, qui mord.

Mais en réalité, avons-nous vraiment le choix?

3.7.06

Dans mon dos: deux bananiers. Devant moi: le dernier gros quartier de la lune, et sous elle False Creek. À ma droite, le pont Burrard, d'où provient un murmure léger. À ma gauche, le pont Granville, même chose. Sous l'arche, là-bas, vers l'ouest, derrière l'ombre montagneuse de l'île, les dernières lueurs que nous laisse voir la terre en train de se retourner sur elle-même. Illuminées d'en-dessous, les piles du pont se donnent des airs de contreforts d'un temple égyptien. La ville est tranquille, faite de lumières et de reflets dans l'eau. Quelques rares couples passent encore sur la promenade, et les petits bateaux qui font la navette passent de temps à autre, créant un remous dans la crique. De tous les côtés, des voiliers dorment, lentement ballottés par les rêves de leur prochaine sortie. Cette forme qu'ont les voiles enveloppées dans leur housse m'a toujours intrigué; on dirait une sorte de cocon dont il est tellement agréable les voir émerger...

C'est étrange de regarder Vancouver vers le sud: on ne voit que du ciel. L'échelle des maisons est basse, on jurerait qu'il n'y a là qu'un petit quartier, que tout se termine après quelques rues. Et pourtant, la ville s'étend loin, jusqu'à l'aéroport où nous avons rendez-vous vendredi. Si je me retournais, le paysage serait tout autre: forêt de gratte-ciels, carnaval de condos.

Un bateau-party passe, on jurerait un vieux truc qui marchait autrefois au charbon. À présent reconverti en piste de danse à ciel ouvert, il s'en va vers le large, laissant derrière lui comme une odeur les cris des gens qui l'occupent et le beat de la musique. Et voici à sa suite un voilier qui fend la nuit et le silence pour aller profiter du ciel de la mer. Et j'entends le vent respirer, et continuer à définir l'abondance. Comme il fait bon vivre, que ce soit sous les feuilles d'un bananier, sous celles d'un érable ou même sous les cordes à linge d'une ruelle. Je me demande cependant si ce vieux monsieur, qui pousse son panier d'épicerie où tiennent toutes ses possessions, peut penser la même chose, parfois. Je le souhaite sincèrement. On ne peut pas toujours penser à ça, mais il suffit d'une fois de temps à autre, et ça nous permet de renouveler le pacte de la vie, de reconnaître le goût qui se cache dans l'eau.

Toutes ces soirées passées à écrire m'y ont aidé, de temps à autre. C'est déjà une bonne raison d'avoir entrepris ce projet. Parce qu'écrire la feuille de bananier, écrire le monsieur qui passe, faire honneur à sa grande barbe grise, c'est regarder deux fois, regarder plus lentement. C'est important. Ces deux-là suivent une autre voie, assis sur le petit parapet de béton: il sont ensemble, eux et le silence, et sans parler ralentissent le temps, et comprennent à nouveau la marée qui s'en va. La paix du soir, heureusement, existe, elle est une richesse depuis que nous avons compris que nous avions droit d'espérer le matin. Et souvent même les guerres s'éteignent quand tombe la nuit. Quand les drapeaux, immobiles et sombres, appartiennent tous au même pays.

2.7.06

Je vis un Vancouver différent. Assis à la petite table ronde du patio de l'hôtel, je suis entouré de grands édifices. L'air est plein de sel et d'algues: entre les arbres, je vois l'eau miroiter à quelques mètres d'ici. Un bateau passe silencieusement. Ici, aux franges du centre-ville, les bruits sont différents, plus nombreux. Devant l'entrée de l'hôtel, à ma gauche, trois palmiers ornent le trottoir. Comment ne pas se sentir en vacances?

J'ai remis les clés de la maison ce matin. Après avoir passé toute la soirée d'hier à laver l'appartement, il fallait retourner pour clore le contrat, récupérer mon dépôt. Tout était hyper propre: Céline avait lavé tous les murs, la cuisinière et autres pendant la dernière semaine, et je me suis tapé les tapis, le frigo et les planchers hier. Il y a une certaine fierté à remettre ainsi l'appart en parfait état. Mais ce sont d'autres qui l'occupent maintenant, ou qui le feront dans les prochains jours. Les voisins étaient tous déçus de nous voir partir, même Olivia, la cracheuse de feu d'en-dessous, qui n'était là que depuis une semaine ou deux. Changements.

Je voulais de la bière, tout à l'heure. Incroyable, ce que j'ai fait comme chemin pour en avoir, sans réussir en fin de compte. Quand je pense qu'il y a un dépanneur au coin de la rue, je le vois d'ici, et que si je m'étais trouvé au Québec, je n'aurais eu que vingt pas à faire pour accomplir ma quête. Au lieu de cela, j'ai parcouru le quartier en auto. Le magasin provincial était fermé pour cause de Canada Day. Quand j'ai enfin retrouvé cette merde de comptoir à boisson où je m'étais arrêté hier, il y avait du monde dans la porte. Je rentre, mais un gars me demande de ressortir: il fallait faire la file. Je comprends alors que ceux à l'entrée attendaient. il y a vait même un cordon rouge de type billetterie. La place, qui ressemble assez à certain dépanneur que je connais à Saint-Henri, était pleine. Pas question que je fasse la file pour acheter de la bière hors de prix, me suis-je dit courageusement, et je suis revenu à l'hôtel bredouille.

Nous étions allés voir les spectacles gratuits au parc non loin d'ici. Il y avait de la musique, mais c'était Hava Naguila, et tout ce qui est israélien me hérisse les poils, ces temps-ci. Je ne voulais pas taper du pied.

Céline et moi, on aimerait bien prendre une fin de semaine sans les enfants. On commence à être à bout, par moments. Mais bon, faut dire que les derniers jours ont été stressants et fatigants. il ne nous faut peut-être qu'un peu de repos. Demain, c'est la grasse matinée!

Bonne nuit, cher journal, ai-je l'impression de devoir dire après ces quelques mots...

1.7.06

J’ai pris le 4 pour la dernière fois tout à l’heure. Céline et les enfants étaient repartis vers l’hôtel, et je devais rester à l’appartement pour faire le dernier ménage. Et après trois heures à laver les armoires, les planchers et les comptoirs, je laissais derrière moi la maison vide et propre pour aller prendre l’autobus, coin McGill et Renfrew.

Ce fut un drôle de voyage. L’autobus était sombre, comme quand on voyage entre deux villes. Il était aussi plein de jeunes qui sortaient en ville. Plusieurs conversaient avec leur téléphone cellulaire, consultant l’écran illuminé pour savoir quelque chose. D’autres s’en servaient aussi pour parler («je suis rendu à tel coin de rue, je vais être là dans dix minutes»). Devant moi, un gars et une fille d’environ 20 ans passaient leur temps à s’embrasser. Ils étaient très beaux à voir, mais sont devenus lassants tellement ils en mettaient. Et le plus étrange, c’est qu’après une quinzaine de minutes de bouche à bouche quasi incessant, le gars est sorti presque sans avertissement et a laissé la fille là, seule.

Juste à côté de ces deux-là, une autre fille vraiment étrange. Elle avait la tête penchée vers l’avant, mais très loin, à un angle de 90 degrés par rapport à son dos. Sur sa tête, des cheveux courts et clairsemés, comme s’ils repoussaient après un traitement de chimio, ou si au contraire ils étaient en train de tomber. On voyait très bien le fond de sa tête à plusieurs endroits. Mais son visage, je ne le voyais pas, puisqu’elle était penchée vers l’avant, la tête tournée vers sa droite. Et pendant les quinze minutes où elle se trouvait devant moi, elle avait une main sur sa tête et s’arrachait des cheveux, ou grattait une gale, ou quelque chose. Elle avait l’air de tirer sur le peu de cheveux qui lui restaient, dans un geste compulsif qu’elle n’a cessé de faire qu’au moment où l’autobus approchait de son arrêt. Alors, elle a enelvé sa main de sa tête, a pris par terre, sous le banc, le transfert qu’elle avait apparemment déposé là, et puis est descendue rapidement de l’autobus.

Moi, je continuais vers le centre-ville. Je suis descendu plus loin, ai traversé le centre-ville à pied. J’ai fait un arrêt dans un magasin d’alcool ridicule pour acheter une bière; la musique y était tellement forte et agressante que je n’avais que le goût de ressortir; vraiment pas accueillants à mon goût, le gars et la fille qui tenaient le comptoir. Retour à l’hôtel, un bout de Italie-Ukraine, et me voilà. Demain, un dernier petit tour à l’appartement pour récupérer mon dépôt, et puis c’en sera vraiment fini de la rue Eton...